Il y a des hommes qui n’ayant jamais exercé le pouvoir ultime ont activement participé à l’entretenir compte des liens étroits qui les connectaient à l’autorité suprême. Né sous le régime de l’indigénat, celui dont nous établissons le portrait ce jour fréquenta comme beaucoup de jeunes autochtones africains de sa génération des missions religieuses dans lesquelles ils obtinrent une éducation et une formation européenne.
Au fil des années, l’apprentissage scolaire fit d’eux des instruits de l’époque coloniale à l’orée des Indépendances. C’est d’ailleurs sur leurs compétences que les nouvelles Républiques du continent africain s’organisèrent et se développèrent. Hommes de confiance et bras armé du détenteur de commandement, ils furent intronisés cadres du régime et conseillers on ne peut plus stratégiques. Au Gabon, la nomination de Léon Mba Minko comme premier président de cette ancienne colonie française d’Afrique devenue territoire d’Outre-Mer au lendemain de la Seconde Grande Guerre, précipita les nouveaux « éduqués » du moment à des postes de responsabilités afin de consolider « le chef » dans son désir profond de règne.
L’illustre disparu
Parmi ces nombreux jeunes « sachants » recrutés par le pouvoir, un natif des rives du fleuve Ogooué portant le nom de Georges Rawiri (1932-2006). A la lisière de la vie du président de l’époque, sieur Rawiri reste fidèle à celui qui est pressenti pour assurer la continuité de son prédécesseur, le nommé Albert Bernard Bongo. Devenu président peu après la mort de Léon Mba, le nouveau chef de l’Etat s’entoure de la « garde rapprochée » de son mentor et fait de Georges Rawiri, son plus proche et intime colistier. Ensemble, ils seront englués dans toutes les conquêtes pour la conservation du fauteuil présidentiel et n’eût-été « la faucheuse », personne n’aurait miser un sou sur leur désunion. Beaucoup d’observateurs disaient de Rawiri qu’il était le « Jacques Foccart » du président Bongo.
Naissance et vie famille
Le 10 mars 1932 vient au monde Georges Rawiri au Gabon, colonie africaine de l’empire français comprise dans l’Administration équatoriale française (AEF). En effet, sa naissance survint non loin de la localité de Lambaréné au bord du fleuve Ogooué précisément au village « Ntyatanga » encore appelé « Ntchatanga » dans la région du « Bas-Ogooué » situé en aval de Lambaréné. Georges Rawiri est le fruit de l’union d’Alexandre Mbourou et de Léontine Mbourou dont le nom de Jeune fille était Léontine Iguéri. Il est issu du communauté « Myèné » appartenant au clan « Galoa ».
Georges Rawiri au coté de son ami Omar Bongo
Georges Rawiri fut épris d’une française du nom de Jacqueline Dumas avec laquelle il convola en justes noces le 6 juillet 1957. Ils eurent deux enfants : Florence et Jean-Luc Rawiri. Angèle Christiane Ntyugwetondo Rawiri, considérée comme la toute première romancière gabonaise, était quant à elle la fille de Georges Rawiri. Il est aussi le neveu Paul Indjendjet Gondjout et le descendant du roi Nkombé Ya Ndemba encore appelé « roi soleil ».
Parcours éducatif
Georges Rawiri grandit à proximité de la mission protestante du village de Ngomo. Cette mission a été érigée en 1898 et fut l’un des premiers centres d’évangélisation du Gabon ; c’est d’ailleurs Gustave Eiffel qui en fut l’architecte. Ses parents lui envoient à l’école de ladite mission pour s’imprégner des connaissances occidentales tout en lui inculquant les valeurs traditionnelles et villageoises il y reste jusqu’en 1945. C’est en pirogue qu’il se rend chaque matin pour recevoir l’enseignement élémentaire. Le petit Georges y apprend aussi la rigueur du travail et de l’effort comme le prône les adeptes du Protestantisme.
En 1946, le jeune Georges alors âgé de 14 ans s’envole pour la France et poursuit ses études secondaires au lycée polyvalent Jean-Baptiste Dumas (JBD), un lycée d’enseignement secondaire situé dans la ville d’Alès en région Occitanie. Il y décroche son baccalauréat en section moderne. Après l’obtention de son baccalauréat en 1956, il s’inscrit au studio-école de l’Office de coopération radiophonique (OCORA) anciennement dénommé Société de radiodiffusion de la France d’Outre-Mer (SORAFOM) et en sort nanti d’un diplôme de cadre technique de radiodiffusion.
Carrière professionnelle
A la fin de sa formation au sein de l’OCORA, Georges Rawiri est envoyé dans le Cameroun septentrional à la station de radio « Radio-Garoua ». De 1958 à 1959, il fait montre d’un travail très attrayant et est promu au poste de chef du centre technique. Mais l’indépendance arriva à grand pas dans son pays, il est alors appelé par Léon Mba qui occupe les fonctions de président du conseil de gouvernement et maire de Libreville.
En octobre 1959, Georges Rawiri regagne sa terre natale pour accélérer la création de la Radiodiffusion nationale gabonaise sous la supervision de Mme Castanet qui en deviendra la directrice. Georges Rawiri va occuper le poste de chef du centre technique de la station de ladite radio. Mais celle-ci n’est officiellement inaugurée que le 28 novembre 1959 par Léon qui prononce la première allocution radiophonique du pays. Soulignons que c’est par le concours de Georges Rawiri que cette station de radio, sise au quartier « Louis » à Libreville, verra le jour.
Admiratif du travail de Georges, Léon Mba en fait un de ses hommes de confiance, l’invite de temps à autre au palais présidentiel et le nomme correspondant officiel de Radio Gabon au sein de la présidence de la République ; c’est d’ailleurs en 1961 que Georges Rawiri rencontrera Albert Bongo dans les salons privés de la présidence gabonaise. En mai 1963, l’ère de la communication audiovisuelle au Gabon franchit une autre étape importante. Georges Rawiri et les équipes de Radio-Gabon, s’étant démenés des mois durant, mettent sur pied la télévision gabonaise durant le mois de mai 1963. Le président Léon Mba, satisfait du travail accompli, nomme sieur Rawiri avec lequel il est de plus en plus proche au poste de directeur de la Radio et télévision gabonaise (RTG).
Carrière politique et administrative
L’année 1964 n’arrive pas à son terme que Georges Rawiri est appelé par Léon Mba à intégrer le gouvernement pour diriger le ministère qui sied à ses compétences. Il bénéficie dès lors du poste de ministre de l’Information, des Postes et des Télécommunications. Après le putsch raté de 1964, le président gabonais l’envoi en en France pour conforter ses garanties politiques établis avec les autorités de Paris qui lui ont sauvé la mise lors de son renversement éclair.
Georges Rawiri est alors nommé ambassadeur du Gabon en France en 1965. C’est lui qui joue l’entremetteur entre le palais de Libreville et celui de l’Elysée. Mais en 1967, le président Mba décède et Albert Bernard Bongo est choisi pour pérenniser l’entente et les intérêts franco-gabonais comme le faisait avec dévotion et allégeance le président décédé. Bernard Bongo porte donc sa confiance à Georges Rawiri qui est un pilier important des relations franco africaines du moment.
Le nouveau président maintient Georges Rawiri à son poste et en fait, comme Léon Mba, ses yeux et ses oreilles à Paris. Grandissant dans l’estime de Bongo, ce dernier veut l’avoir à ses côtés à Libreville mais il préfère pour l’heure, le maintenir au sein de la représentation diplomatique du pays en Hexagone. Georges Rawiri regagne alors le Gabon en 1971 et est ipso facto promu au poste de ministre d’Etat, chargé des affaires étrangères et de la coopération.
Depuis sa première nomination au gouvernement, Georges Rawiri avait pour surnom « Joe » et pour les plus taquins « Joe le rapide » ou encore « Onero (le grand). Cette rapidité, il la démontre aussi au cours de ses nominations qui s’enchaînent. En 1973, Bongo le fait nommer ministre délégué à la présidence. L’année d’après, il est promu ministre d’Etat à la présidence de la République, chargé de la coordination économique et financière, représentant personnel du chef de l’Etat. Comme beaucoup de gabonais à l’époque, une réalité est visiblement observée : Albert Bernard Bongo tient son principal homme de confiance et c’est bien Georges Rawiri.
D’où ces nominations à la présidence de la République pour être au plus près l’un de l’autre. En 1975, Georges Rawiri est désigné ministre d’Etat, ministre des transports et de la Marine marchande. Il reste en fonction durant sept longues années, une première sans sa carrière au gouvernement. En 1982, il devient Premier vice-Premier ministre, ministre des Transports. L’année d’après, il est nommé Premier vice-Premier ministre, chargé de la suppléance de la Primature, ministre des Transports terrestres, ferroviaires, fluviaux et lagunaires, chargé de la communication sociale.
Jamais à cette époque un membre du gouvernement ou un proche du président Bongo ne pouvait se payer le luxer de cette pléthore de nomination ; aussi, en 1984, il figure parmi les initiateurs du colloque sur le développement économique et social du Moyen-Ogooué organisé à Lambaréné. Après plusieurs tractations politiques à la suite de la démocratisation de la vie politique amorcée en 1990, la Chambre Haute du parlement est créée afin que son locataire puisse assurer l’intérim lors de la vacance du pouvoir pour qu’il n’y ait pas une cacophonie dérangeante au sommet de l’Etat, dans la gestion des affaires courantes.
La loi portant création du Sénat est adoptée le 18 mars 1994. Le 10 mars 1997 sonne le glas de la première législature du Sénat. Georges Rawiri, qui avait pris sa retraite en 1990 tout en restant très proche de Bongo en tant que conseiller personnel du chef de l’Etat, en devient le premier président. En effet en 1996, Georges Rawiri et son acolyte Omar Bongo, sentant la présidence « bis » du pays se mettre en place, décide d’accélérer les choses.
Georges Rawiri qui se fait élire conseiller municipal en 1990 se présente aux sénatoriales. C’est par cette tactique politique qu’il est propulsé à la tête de la Haute Chambre et devient dans le même temps, la deuxième personnalité du pays : c’est lui qui dirigera le pouvoir en cas d’empêchement, de quelque forme que ce soit, de son comparse Omar Bongo. Lors des sénatoriales de 2003, il fut de nouveau élu à la tête du Sénat.
Distinction et hobbies
Georges Rawiri fut élevé au rang de Grand-Croix de l’Etoile équatoriale, Grand-Croix, Grand-officier et Commandeur de plusieurs autres distinctions. Il reçut le grade de Grand-Officier de la Légion d’honneur et de l’ordre national du mérite français en 1980.
Passionné de pêche sportive, de voile et de jooging, Georges Rawiri fut aussi un membre du « Lions Club International », une corporation internationale de bénévoles classée comme la plus philanthropiques des organisations du monde. C’est en cela qu’il est considéré comme une branche active de la Franc maçonnerie.
Principale cheville ouvrière du régime
C’est depuis 1961, date à laquelle il fit la rencontre d’Omar Bongo, que Georges Rawiri gagna la confiance du futur président. Alors qu’il est ambassadeur en France, les deux hommes se rapprochent davantage car faisant partie du cercle privilégié de Léon Mba. Tandis qu’il est le patron de la représentation de son pays en Hexagone, Georges Rawiri assiste à la passation de pouvoir entre le président Léon Mba et Bernard Bongo, fraîchement promu au poste de vice-président. Quelques temps après, Léon Mba décède et Bongo accède au Pouvoir. Il fait de Rawiri, un fidèle de choix et le fait rentrer au Gabon en 1971.
Georges Rawiri sera tour à tour nommé à des postes ministériels de prestige, détenant à lui seul près de quatre fonctions différentes. En guise de reconnaissance absolue, Omar Bongo lui confie tous ses secrets même les plus sensibles suite à l’étroitesse de leur relation. Georges Rawiri, à la demande du président, devient un membre hyper influent du Parti démocratique gabonais (PDG) et se dresse contre tous ceux qui combattent son compagnon.
Tous les opposants politiques subissent les foudres du pouvoir et la main noire de Georges n’était jamais bien loin. Il aurait soutenu et encouragé le président dans l’élimination et l’arrestation de plusieurs de ses challengers politiques tels que Germain Mba ou encore Jean-Marc Ekoh. On dit de lui qu’il était le chef d’orchestre des décisions iniques du régime, réduisant à la précarité voire au silence certains détracteurs de l’autocratie instaurée par Bongo et nourrit par ses réseaux. Dans sa province natale, Rawiri était un véritable « empereur », dictant aux forceps sa loi. Dans les milieux d’affaires, « Joe le rapide » est omniprésent.
Fort des contacts qu’ils avaient auprès des plus hauts dirigeants de l’Hexagone, il facilite les investissements français au Gabon par le canal de sociétés pétrolières comme Bolloré ou encore Elf aquitaine ; il pèse de tout son poids pour aider son ami Bongo à tirer une importante manne financière des revenus provenant de l’activité pétrolière. Georges Rawiri siégeait d’ailleurs dans les conseils d’administration des principales entreprises publiques et parapubliques du Gabon.
Cependant, sa toute-puissance tire son origine de sa dimension ésotérique. Avec le président Bongo, il fonde la Grande loge du Gabon (GLG). Georges Rawiri aurait aussi été à la tête d’un puissant réseau de sacrifices humains servant à des fins fétichistes dans l’acquisition d’une aura maléfique et d’une énergie incommensurable occasionnant la domination et une hégémonie multiforme. Cette élévation spirituelle lui permet de dominer sur les autres serviteurs du pouvoir. En effet, Georges Rawiri décide de l’ascension sociale et politique de tel ou tel affidé du régime.
Il s’érige en concepteur de carrières et ses orientations à l’endroit du président sont pris pour argent comptant. L’homme développe très vite, tout comme Bongo d’ailleurs, un appétit insatiable du culte de la personnalité. Il préside le pays sans être le détenteur de la magistrature suprême mais l’exiguïté de ses rapports avec le président fait de lui le « sosie décisionnel » du chef de l’Etat » Pis, dans le Moyen-Ogooué tout passe par lui. Nul n’a le droit par exemple, d’avoir une habitation dont l’esthétique se rapproche de ses demeures.
Georges Rawiri était l’alpha et l’oméga du giron politique gabonais. Il était le parrain de l’un des enfants de son alter égo ainsi que l’un des témoins de mariage de celui-ci. Véritable « gardien du temple », les deux hommes avait basé leur relation sur l’amitié, le respect et l’intérêt commun, peu importait la nature. Georges Rawiri et Bongo collaboreront durant 38 ans. En définitive, les gabonais ont toujours pensé, au risque de se tromper, que celui qui dirigeait le pays était bel et bien le natif du fleuve Ogooué. Autre information de poids : pour beaucoup de ses concitoyens, Georges Rawiri aurait été, pendant son règne, l’homme le plus riche du pays bien loin devant Omar Bongo. Une rumeur qui fait bien froid dans le dos quand on connait la richesse amassée par le chef de l’Etat en dépit de la pauvreté de ses administrés.
Œuvres littéraires
Passionné de littérature depuis son adolescence, Georges Rawiri est l’auteur d’une œuvre du nom de « Chants du Gabon » publié en 1975. On y retrouve des poèmes comme « A ma mère » ou encore « A un petit gabonais ». Il a aussi coécrit avec Michel Cohen, auteur français, un ouvrage sous forme de bande dessinée intitulé « Le train de la forêt vierge ou L’épopée du Transgabonais » dont la date de parution est 1985. L’ouvrage a été illustré par Caroline Pistinier, une artiste visuelle elle aussi de nationalité française.
Fin de vie
Georges Rawiri disparaît du monde des vivants le dimanche 9 avril 2006 à Paris en raison d’une crise cardiaque. Le disparu était âgé de 74 ans et dirigeait toujours le perchoir du Sénat. Depuis plusieurs années, le bruit courait dans Libreville et au-delà, que Georges Rawiri utilisait un pacemaker en raison de ses problèmes de santé de santé notamment des gênes respiratoires suite à des complications cardiaques. Des hommages fusent de toute part et le président Bongo est inconsolable.
Lors de l’exposition de la dépouille du défunt à son domicile de Libreville, l’évènement est retransmis à la télévision nationale. Mais l’impensable se produit. En 39 ans de règne, chanceux serait le gabonais qui pourrait dire avoir déjà vu le président les larmes aux yeux. Mais ce jour, Omar Bongo, lunettes sombres, manqua de peu de s’écrouler devant les caméras.
C’est en effet grâce à la vigilance de sa femme et d’un autre de ses proches qu’il put rester debout. Ce fut la seule et la dernière fois que les gabonais virent le président aussi désarçonné et malheureux. Par ailleurs, des allégations faisaient état d’un empoisonnement du président de la Haute Chambre du Parlement lors d’un dîner où devait normalement prendre par le président Bongo mais qui ne pouvant honorer l’assistance de sa présence, se fit remplacer par son alter égo. Le poète gabonais, Raphael Miséré-Kouka, a écrit récemment un brochet dont le titre est « Georges Rawiri : Quand fleurissent les larmes » paru le 27 mars 2022 en guise d’hommage posthume adressé au défunt.
Le bâtiment qui abrite les locaux du groupe Gabon télévisions anciennement appelé Radiodiffusion télévision gabonaise (RTG), inauguré le 1er décembre 2007, porte son nom et est ainsi dénommé « Radiodiffusion Télévision Gabonaise : Maison Georges Rawiri ». De plus, il est aussi l’éponyme du Centre hospitalier régionale (CHR) de Lambaréné. Sa femme qui l’a toujours accompagné dans ses diverses actions sociales est l’éponyme d’une école primaire de Lambaréné baptisée « Ecole primaire Jacqueline Rawiri ».
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