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Tribune : « Ce qui est en jeu, ce n’est pas Sylvia Bongo. C’est nous »

 Tribune : « Ce qui est en jeu, ce n’est pas Sylvia Bongo. C’est nous »
Tribune : « Ce qui est en jeu, ce n’est pas Sylvia Bongo. C’est nous » © 2025 D.R./Info241

Dans une tribune aussi poignante que dérangeante, le journaliste et écrivain gabonais Jocksy Ondo Louemba interroge les fondements moraux de la République à l’aune de ce qu’il appelle désormais « l’affaire Sylvia Bongo ». À travers le témoignage glaçant de l’ex-première dame et de son fils Noureddin, l’auteur questionne ce que le Gabon tolère au nom de la raison d’État, entre tortures, spoliations et détention hors cadre. Ce texte n’est pas une défense, mais un cri — un cri contre l’effacement, et pour le sursaut d’une société qui vacille entre droit et dérive autoritaire.

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A propos de ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Sylvia Bongo », c’est tout le Gabon qui doit s’interroger. Tortures, spoliations, détentions illégales : ce qu’elle a subi questionne ce que nous sommes prêts à tolérer et sur ce que nous tolérons.

Le 3 juillet 2025, Sylvia et Noureddin Bongo ont choisi de briser le silence. Ce qu’ils disent n’est ni une ligne de défense, ni une posture politique, ni même une opération de communication. C’est un cri. Un cri contre la torture, contre l’humiliation, contre le vol. Un cri contre l’effacement.

 Ils ne cherchent pas à convaincre, mais à témoigner. Et cette parole dérange, car elle éclaire ce que beaucoup préfèrent laisser dans l’ombre. Dans ce communiqué, ils nomment, accusent, dénoncent. Et surtout, ils avancent des preuves glaçantes.Ce n’est ni une rumeur, ni une exagération. C’est un fait brut. Une fracture. Car ce qui se joue ici n’est pas le sort d’une ancienne Première Dame. C’est le destin même de notre société. Ce qui se joue ici, ce n’est pas Sylvia Bongo. C’est nous.

Le sous-sol du palais Rénovation

Sylvia Bongo a été enfermée dans un sous-sol, six étages sous le palais présidentiel, juste au-dessus des appartements occupés par Brice Oligui Nguema. Ce n’était ni une prison, ni une maison d’arrêt. C’était un tombeau institutionnel, qui rappelle les pratiques les plus sinistres des dictatures africaines, comme celle du colonel Mengistu, qui fit enterrer l’empereur Hailé Sélassié sous son propre bureau . Un lieu de non-droit. Sylvia Bongo y fut ensevelie vivante, aux côtés de son fils Noureddin.On l’a scotchée sur une chaise. On lui a bâillonné la bouche. On l’a forcée à assister aux sévices infligés à son fils. Jalil parle d’électrocutions. Noureddin évoque des tortures physiques, des humiliations quotidiennes. Il ne s’agissait pas de juger, mais d’écraser. Et certains ont osé appeler cela une "procédure".

« On reconnaît le degré de civilisation d’une nation à la manière dont elle traite ses prisonniers » , écrivait Dostoïevski. Que dit cela de nous ?

Rapine et butin

À la torture a succédé le pillage. Le vol des biens. Les comptes ont été vidés, les maisons investies, les entreprises confisquées. Tout cela sans aucun jugement. Sans le moindre cadre légal. Uniquement des ordres, des pressions, des intimidations. 

Aujourd’hui, qui profite de ces biens ? Où sont les documents ? Où est la transparence ? Tout est opaque. Tout est douteux. Et pourtant, chacun sait. Chacun murmure. Chacun se tait. Par intérêt. Par lâcheté.« Le vol est encore plus grave lorsqu’il est commis au nom du peuple », écrivait Victor Hugo. Et c’est bien ce que nous vivons.

Ce que le procès aurait dû être

Un procès, un vrai, aurait permis de comprendre. De juger sans haine. D’appliquer le droit avec méthode. D’établir les faits. Mais ce procès, personne n’en a voulu. Pas même Brice Oligui Nguema, qui affirmait pourtant sur France 24 que le dossier comportait des preuves. Il aurait révélé trop de vérités, mis en lumière trop de complicités. Alors, on a préféré le silence. L’obscurité. La brutalité.

« Le mensonge tue plus sûrement que le poison »,  écrivait Hannah  Arendt . Ici, il tue le Gabon.

Et nous ? Nous savons. Et nous nous taisons. Nous regardons de loin. Nous disons qu’il faut "tourner la page". Mais on ne tourne pas une page tachée de sang.

« Là où seule la force règne, il ne reste que la peur »

Il ne s’agit pas de défendre une famille. Il s’agit de sauver ce qu’il reste d’humanité, de conscience dans un Gabon qui se deshimanise. Car si l’on peut faire cela à Sylvia Bongo, demain ce sera un journaliste. Un syndicaliste. Un juge. Un étudiant. Un citoyen ordinaire. « Là où la justice est absente, il ne reste que la force. Et là où seule la force règne, il ne reste que la peur », écrivait Montesquieu. Et cette peur, nous y sommes déjà.La civilisation ou la barbarie.

Le Gabon ne peut avancer les yeux fermés. Il ne peut prétendre à l’État de droit tout en étouffant les voix. Il doit choisir : la loi ou la matraque. Le droit ou l’arbitraire. La lumière ou l’ombre. La civilisation ou la barbarie. 

Et cette ligne de partage passe par une exigence essentielle : la justice doit être rendue à Sylvia Bongo et à ses enfants. Sans faux-semblants. Sans délai. Sans compromis.Juste la justice.

Parce qu’on ne torture pas au nom du Gabon. Parce qu’on ne spolie pas au nom du peuple. Et parce que ce qu’on a fait à Sylvia Bongo et à ses fils, on l’a déjà fait à d’autres depuis le « coup de la libération » (sic) du 30 aout 2023. 

Sauf que ces autres victimes étaient plus faibles, plus seules, plus silencieuses.

Et cela doit cesser.

Jocksy Ondo - Louemba 

@info241.com
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