Pierre-Claver Zeng Ebome, de célèbre poète musical Fang à acteur politique controversé
Il est de coutume que la musique, selon les genres, constitue un rempart pour la pensée et une source de jouvence pour l’esprit. Les textes écrits qui rythment les différentes mélodies qui l’accompagnent ne sauraient être considérés comme un ensemble de vocables dénués de sens et de fantaisies. Mais par contre, une œuvre musicale dans sa composition et son écriture est intrinsèquement liée au bon sens et à la raison. Les paroles prononcées, de quelque manière que ce soit, demeurent le témoin permanent de notre existence auprès du commun des mortels.
L’importance de la transmission d’une idée, d’une vérité ou d’un jugement s’est longtemps observé dans nos sociétés traditionnelles jusqu’à s’étendre à bien des distances de notre environnement. Rythmée, poétique et relevant du domaine des « réfléchis », la musique poético-humaniste a été portée par bien d’individus qui, comprenant le sens originel de la sonorité et de l’oralité des structures sociétales et familiales d’antan, se sont servis de « la parole » qu’il savait salvatrice et curative à bien des égards.
La nation gabonaise a engendré bien des talents mais celui qu’avait Pierre-Claver Zeng (1953-2010), dans l’édification et la sensibilisation sur les maux dont souffraient l’homme Africain en général, s’est illustré dans la majestueuse ingéniosité d’interpeller les consciences victimes de la colonisation et de ses travers. Mais pas que.
Naissance
C’est au sein de la province du Woleu-Ntem précisément au village Nkol’Abona situé dans le canton d’Ellelem que naquit Pierre-Claver Zeng Ebome le 19 septembre 1953. Son géniteur est feu Ebome Mbwa Mékina Moïse, patriarche d’une famille plurielle. Pierre-Claver Zeng est d’ethnie Fang et on dit de lui qu’il est le dernier poète de sa communauté. Il épouse Marie-Constance Zeng Ebome au début des années 1980 qui lui donna plusieurs enfants dont son fils Olivier Zeng.
Cursus
C’est dans son village natal de Nkol’Abona, situé non loin de la ville d’Oyem, que Pierre-Claver Zeng Ebome débute ses études primaires. Il y obtient son Certificat d’études primaires. Le village n’ayant pas un établissement d’enseignement secondaire, le jeune Zeng est envoyé au collège d’Oyem. Au collège d’Oyem, il décroche son Brevet d’études du premier cycle (BEPC). C’est alors qu’il est par la suite envoyé à la capitale pour poursuivre ses études. Il est inscrit au lycée technique d’Owendo où il finit par obtenir son baccalauréat en 1975.
Le visage tendre du chanteur à succès
Direction l’Université de Libreville où il s’inscrit à la faculté de droit. Au cours des années 1980, Pierre-Claver Zeng Ebome s’envole pour la France et regagne l’Ecole du trésor de Paris localisée dans la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, ce qui lui permet à son retour au Gabon d’intégrer la fonction publique en tant qu’inspecteur du Trésor Public. Malgré les revenus issus de la musique qu’il composait et de sa renommée au niveau sous-régional et transrégional, Pierre-Claver Zeng Ebome fut dans l’obligation d’obtenir un emploi stable pour les besoins de sa famille. C’est dans cette optique qu’il décida d’aller poursuivre sa formation en France pour travailler dans la fonction publique gabonaise, gage d’une sécurité sûre d’emploi.
Carrière musicale
Bercé dès son plus jeune âge par les fredonnements de son père disparu en 1976, c’est surtout au cours des différents évènement festifs ou malheureux que Pierre-Claver Zeng Ebome s’énamoura de la musique. Le rythme dans la peau et l’esprit nourrit de l’oralité éducatrice et interpellatrice des anciens du village, le jeune Pierre-Claver Zeng Ebome pond sa première composition musicale du nom de « Nkoum Ekeign (La poutre d’acier) ». Cette sonorité rencontre un inimaginable succès auprès de la population tant les termes utilisés sont d’une profondeur et d’une vérité universelle propre à la société moderne en général et au Gabon en particulier.
Il a déjà à l’époque, cette faculté innée de ne pas écrire ses textes, l’inspiration naturelle faisant de lui un parolier d’instinct et d’instant. En effet, le jeune Pierre-Claver met en exergue la tristesse voire le dégoût qu’il a d’abandonner son environnement natal pour combler ses besoins notamment celui de se réaliser entre autres. Une illustration bien terne de l’évolution de la société, marquée aux fers rouges par les supposés bienfaits de la colonisation laissant pour compte le développement des régions rurales au détriment des villes.
Au lycée technique d’Owendo, Pierre-Claver Zeng Ebome se fait encore plus remarqué par une composition mélodieuse caricatural dressant le portrait froid et vérifié, du président-dictateur gabonais de l’époque, un certain Omar Bongo. Cette œuvre porte le nom de « Zok ». Pierre-Claver Zeng Ebome assure la production d’un maxi 45 tours du même nom avec plusieurs textes gravitant autour du climat de terreur et d’inhumanisme instauré par Omar Bongo. Il produit aussi de nombreux 33 tours. La poésie et le maniement des mots dont fait montre Pierre-Claver Zeng affectueusement appelé « PCZ » décrit en lui, une sensibilité citoyenne et traditionnelle dont les fondements ne sauraient être trouvés que dans les tréfonds des arcanes de la société traditionnelle en l’occurrence Fang donc bantoue.
La préservation des coutumes et l’instruction issue de la colonisation sont chez ce poète mélancolique, deux idéologies dont la cohabitation demeure complexe mais réalisable. En scrutant bien les messages véhiculés par Zeng, les idées reçues du « blanc » ont séquestré l’organisation sociétale africaine de base, déformant profondément l’identité du colonisé, au grand dam de notre héritage ancestral. C’est cette ligne réflective qui guidera Pierre-Claver Zeng sans ses compositions afin de rapprocher au mieux, l’africain à ses origines.
Mais Pierre-Claver Zeng est aussi un patriote, épris de paix et de liberté. Il chante l’amour et le respect. Défend l’indéfendable du moins selon la pensée autocratique car au temps du monopartisme, mal en prenait à celui qui osait crier sur tous les toits les atrocités commises par le régime. Les productions de PCZ sont multiples, un répertoire richissime et varié avec la moitié des sonorités chantées dans son patois.
Pendant l’année 1975, Pierre-Claver Zeng compose huit titres à savoir « Ma mién », « Mvon Ebulu », « Massa », « Edzima », « Meke », « L’exil » et « Endele ». Deux ans plus tard, ce sont six nouvelles œuvres qui sont produites notamment « Opwa », « Aba », « Afrika », « Moan », « Essoga », « Nguié » et « Megnu ». L’année d’après, sort huit autres titres « Essap », « Messo’o », « Emoan’nane », « Otiti Wam », « Melo ma wok ya », « Nkoum’ékiègn », « Assoum » ainsi que « Le damné ». En 1980, huit autres chansons sont disponibles « « Eya moan », « Vivre à moitié », « Bidza bi nem », « Ma koan », « Nkoule », « Séparation », « Bi za », « Reste dans mes bras ». Ensuite, « Mekang », « Endele », « Eyala », « Moan », « El dorado », « Ening dzam » en 1983. « Ekang ye Ngom », « Bibulu », « Moan angone », « Désolé », « Mvéré », « Edzima » en 1987. Enfin, après avoir mis en suspend sa carrière artistique durant près de 18 ans, PCZ sort un nouvel album en 2005 composé des titres « Ntoum », « Awu », « Nsili », « Mvon ebulu », « Ma dzing wa », « Mimbang mi si ».
Carrière administrative et politique
La musique de Pierre-Claver Zeng devient virale et s’étend jusqu’aux pays voisins et au-delà de l’Afrique centrale. PCZ, afin d’arrondir ses fins de mois, intègre la Fonction publique et tombe dans le traquenard tendu par Omar Bongo. A l’époque, le régime est omniprésent dans chaque pan de l’administration et pour en faire partie, il faut faire allégeance au président. L’intégrité de Pierre-Claver Zeng est mise à mal, il est devenu proche des détenteurs du pouvoir qu’il critiquait jadis via ses sonorités. L’image de l’artiste est écornée car celui-ci va occuper des postes non négligeables au sein du gouvernement.
Le ministre PCZ
La messe est dite : Pierre-Claver Zeng est désormais le complice de la horde de pilleurs des ressources du pays. Il est de facto responsable du sous-développement et des différents maux socio-économiques qui minent le Gabon. En effet, PCZ rentra dans l’administration gabonaise en qualité d’inspecteur du Trésor public. Il sera aussi enseignant à l’Université Omar Bongo (UOB). Mais le tournant politique de sa vie survient en 1990 lorsque le président Bongo organise une conférence nationale pour réformer le pays sur tous les plans. Comme beaucoup d’intellectuels durant cette année, PCZ avait fait le choix de participer aux débats pour rebâtir la république. Il regagne ensuite les rangs du Parti socialiste gabonais en 1992 et participe aux différentes élections.
Acceptant de faire partie du gouvernement d’union nationale dirigé par Casimir Oyé Mba, son parti l’accuse de traîtrise et décide de son exclusion. Dès lors, Pierre-Claver Zeng fonde sa formation politique : le Mouvement africain pour le développement (MAD). Lors des élections législatives, c’est haut la main qu’il remporte à plusieurs reprises les échéances électorales dans son canton natal d’Ellelem, au nord du Gabon. Durant les élections présidentielles de 1998 et de 2005, il soutient ouvertement le président Bongo, le tyran qui jadis entretenait le succès de son art.
Il fut d’ailleurs propulsé à la tête du Conseil national de la démocratie (CND) instauré lors des Accords de Paris signés en 1994 pour mettre fin au volcanique conflit entre l’opposant Paul Mba Abessole, vainqueur de la présidentielle de 1993 et Omar Bongo, vaincu mais maintenu au pouvoir par la France. PCZ fut aussi ministre sous Bongo. En 2009, il soutient Casimir Oyé Mba lors de la présidentielle de 2009 après la disparition d’Omar Bongo Ondimba et figure parmi les penseurs d’un parti capable d’évincer l’intraitable Parti démocratique gabonais (PDG).
C’est de cette volonté commune provoquant la fusion des partis de Zacharie Myboto, de celui de Gérard Ella Nguéma mais aussi de celui de PCZ que sera fondé l’Union Nationale (UN). D’autres hommes politiques de poids les rejoindront notamment Bruno Ben Moubamba, Casimir Oyé Mba ou encore Jean Eyeghe Ndong.
Dernière scène et hommages
C’est loin de son Nkol’Abona natal que Pierre-Claver Zeng émet son dernier soupir, emporté par la maladie. Le vaste livre de poésie qu’il était à lui seul se referme le 19 mai 2010 à Paris, capitale de la république française. Ses obsèques furent émouvant car un cortège funèbre offrit à l’artiste, inanimé et aphone, une dernière salve d’applaudissements dans les rues de Libreville. Puis, la dépouille fut exposée au gymnase Omar Bongo, le temps d’une nuit.
Tant de pays visités, tant de scènes faites, le faisant voyager lui l’enfant né dans un village proche d’Oyem de la France au Canada, du Maghreb à bien d’autres destinations africaines. Le 30 janvier 2019, le ministre de l’époque en charge de la culture, Alain-Claude Bilie-By-Nze accompagné de la veuve du défunt, Marie-Constance Zeng Ebome, avaient présenté au public un coffret intégral pour pérenniser la mémoire et la carrière de Pierre-Claver Zeng. Ce coffret intitulé « Ening (la vie) » comprenait entre autres 4 CD regroupant toutes les œuvres musicales de PCZ soit huit albums et un livret.
En 2020, l’artiste gabonais de hip hop, Lord Ekomy Ndong, avait lui rendu hommage à ce mastodonte de la musique gabonaise de la plus belle des manières. En effet, pour célébrer les dix ans de la disparition de PCZ, Lord Ekomy avait revisité un de ses titres phares, le tout assaisonné à une délicieuse sauce urbaine pour perpétuer l’œuvre musicale du disparu dans la mémoire des plus jeunes. Le sample est intitulé « Okpale wa long ».
L’association « Odzanboga » a été fondée pour entretenir la mémoire de Pierre-Claver Zeng avec pour but de rassembler la communauté Fang et de plébisciter la culture Fang. De nombreux artistes gabonais ont été influencé par la musique et la grandeur de PCZ et bien plus que les mots à l’instar de Alexis Abessolo.
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