Les années qui précèdent la période où les territoires français d’Outre-Mer accèdent à l’autodétermination, voient émerger des figures africaines inconnues du monde du 7ème art. Les Africains emboîteront le pas des Occidentaux afin de développer locales. D’autres ont été à la fois des admirables acteurs de cinéma et des réalisateurs et/ou scénaristes emblématiques. Un Gabonais porta ces deux casquettes et s’est invité à jamais, dans la mémoire collective du monde du 7ème art : Philipe Maury (1932-2016).
Naissance
C’est dans un village de la province du Moyen-Ogooué du nom de Batanga, situé à quelques encablures du fleuve Ngomo, que naît le 28 août 1932 Philippe Maury (souvent orthographié Mory). Appelé « Phiphi » par les plus intimes (proches et fans), il est le fils d’un forestier français et d’une mère Myènè de la tribu des Galoa.
Phillipe Maury, un personnage unique
Son géniteur ne le ramena pas avec lui au moment de rentrer dans l’Hexagone, ce qui était très à la mode à cette époque. Sa mère avait d’énormes problèmes de fertilité et ne put concevoir qu’un seul enfant qu’elle appela Maury, qui signifie « un » en langue Myènè mais dont la connotation nous ramène au groupe de mot « enfant unique ». En 1939, le petit Phillipe fut à nouveau abandonné mais cette fois-là par sa maman, qui le laissa non loin de l’hôpital du docteur Schweitzer.
Itinéraire scolaire
Phillipe Maury débute ses études primaires à l’école de la mission protestante de Batanga et finit par obtenir son Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE). Par la suite, il passe le concours d’entrée à l’école professionnelle d’Owendo et le réussit. Après y avoir finit sa formation en tant qu’ajusteur-mécanicien, il se voit octroyer une bourse d’études pour la France afin de poursuivre sa scolarité. Arrivé en France à l’âge de 18 ans en 1950, il y décroche son Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et plus tard à 23 ans, il obtient son baccalauréat au lycée de Briançon en 1955.
En 1959, Philipe Maury intègre contre toute attente, le prestigieux Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). La même année, Maury joue dans un film qui rencontre un succès immense et finit même lauréat d’un prix de prestige récompensant le cinéma français. Il a lieu de noter que Phillipe Maury rêvait depuis le collège de faire du cinéma son gagne-pain. Il passera deux ans à l’IDHEC.
Le Gabon qui n’est pas encore indépendant mais qui a un Conseil de ministres dirigé par Léon Mba Minko (vice-président de ce conseil) possède une représentation « diplomatique » en France. Ayant eu vent du parcours fabuleux de ce jeune cinéaste gabonais qu’est Phillipe Maury, ladite représentation passe un appel au concerné afin de lui faire savoir que le ministre des finances et du plan de l’époque, Gustave Anguilet, souhaite le rencontrer pour lui attribuer une bourse d’études afin qu’il poursuive sa formation dans le cinéma, étant le seul représentant du Gabon à crever le grand écran.
En effet, Maury était arrivé boursier en France mais depuis trois ans, sa bourse avait été coupée. Une lettre fut envoyée au directeur général de l’époque qui s’empressa d’accueillir le jeune Phillipe dans son institut. C’est par cette manœuvre administrative que Maury rejoindra l’IDHEC. Il faut dire qu’en ces temps, le Gabon comme beaucoup d’autres Etats africains, avait des accords très « spéciaux » avec la France qui se devait d’accueillir des étudiants des pays de la Communauté dans des écoles de leurs choix.
Genèse de sa carrière dans le 7ème art
C’est en 1954 que Phillipe Maury démarre sa carrière de cinéaste alors qu’il était encore étudiant. Il participe en temps que comédien dans le court métrage « Afrique-Sur-Seine » que co-réalisent les Africains Paulin Vieyra, Jacques Mélo Kane et Mamadou Sarr en guise de film de leur fin d’études. C’est l’œuvre cinématographique qui marque le début du cinéma en Afrique noire, du moins de manière officielle. Ce film est surtout bien orchestré par celui qui deviendra un monstre sacré du cinéma noir africain, Paulin Soumanou Vieyra, né béninois puis naturalisé sénégalais, qui passa aussi par l’IDHEC.
Par ailleurs, Maury faillit sortir un film retraçant la vie de Soundiata Kéita avec un de ses copains de l’époque, l’acteur sénégalais James Campbell-Badiane, mais le projet n’aboutira pas. La même année, il est drafté par un de ses camarades guinéens du Sow Mamadou (alias Bob Sow) pour figurer dans une production cinématographique ayant pour titre « Ali Baba et les 40 voleurs ». Fernand de Contandin dit Fernandel y joue les premiers rôles, Maury les seconds. Mais il est heureux et chanceux de jouer au côté dudit Fernandel, célébrissime acteur français. Pour peaufiner son talent d’acteur, il s’inscrit au Cours d’art dramatique René-Simon (Cours Simon). Mais faute de moyens pour supporter les frais de scolarité, il se voit dans l’obligation d’abandonner.
Cependant, il obtient de petits rôles de figurants et apparaît au petit écran dans des films comme « Nana » où il joue aux côtés de l’actrice française Marie-Louise Mourer dite Martine Carol, ou encore dans « Les héros sont fatigués » avec Yves Montand (qui avait pour nom de scène « Ivo Livi »). Il jouera aussi dans « Série Noire » au côté de l’acteur français Henri Vidal avant d’apparaître quelques temps après, dans une pièce de théâtre titrée « Equateur » écrite par l’écrivain et scénariste français Roger-Francis Didelot qui sera diffusée à la télévision.
En 1955, il a aussi un modeste rôle dans le film « La rue des bouches peintes » du réalisateur et scénariste français Robert Georges Viandon plus connu sous le nom de Robert Vernay. C’est en 1956 que Phillipe Maury intègre l’Office de coopération radiophonique (OCORA) et se remet au cours d’art dramatique en s’inscrivant chez Monsieur Conti, ce qui lui permettra de se lancer activement dans le théâtre en jouant dans des pièces comme « Le goût du miel » ou « Irma la douce » durant l’année 1958.
C’est cette même année qu’il rencontre Jacques Dupont, cinématographe certifié d’Afrique équatoriale française (A.E.F), par le biais de la représentation gabonaise à Paris. Il tournera un film avec lui « L’Enfant au fennec, le renard des sables », sorti aussi en 1958. C’est de là que sa carrière au cinéma va décoller puisque ce film lui permettra de faire une tournée européenne.
La consécration
Le réalisateur français Michel Drach met sur pied un nouveau film « On n’enterre pas le dimanche » et cherche un acteur noir pour jouer le rôle principal. On est en 1959. Bien qu’il soit métisse et pas assez « noir » pour Drach, il obtient le rôle et fait donc office de personnage principal. C’est une première pour un film d’avoir comme acteur principal, un Africain. Le film fait un carton et est auréolé du Prix Louis-Delluc en 1959. C’est la consécration pour Phillipe Maury qui devient véritablement connu du grand public. De surcroît, le film était en compétition avec une autre production de qualité « A bout de souffle » du monstre du cinéma franco-suisse, Jean-Luc Godard.
Maury dans le film "On n’enterre pas le dimanche"
En 1960, Phillipe Maury enchaîne les apparitions au cinéma et joue les premiers rôles dans le film « Les filles sèment le vent » du réalisateur, scénariste et monteur français Louis Soulanes. Soudain, Michel Drach lui demande de l’aider à la réalisation d’un de ses films « Amélie ou le temps d’aimer ». C’est ainsi qu’il devient assistant-réalisateur et réveille en lui, une autre passion mais en lien avec l’œuvre cinématographique : l’écriture des scénarios.
Phillipe Maury, le scénariste
Alors qu’il était à l’IDHEC, Phillipe Maury s’était déjà plongé dans l’écriture de scénarios de films. C’est durant ces années qu’il écrit le scénario d’un film qu’il espère voir à l’écran un jour : « Le cri du sang » qui deviendra plus tard « La cage ». Le film finira par être réalisé par le réalisateur français Robert Darène et ce sont les actrices et acteurs Marina Vlady, Collette Duval, Jean Servais et Phillipe Maury lui-même qui jouent les rôles centraux. Le film est tourné au Gabon et rentre dans l’histoire du cinéma noir africain en devenant l’un des premiers longs métrages, si ce n’est le premier, dont le tournage s’est intégralement déroulé dans un pays d’Afrique subsaharienne qui vient de connaître le vent des indépendances.
Le film marque le retour de Phillipe Maury dans son pays natal, après 11 ans passés en hexagone pour raison d’études et pour se donner les moyens de réaliser son vœu d’adolescent : faire du cinéma son métier. En 1963, le long métrage « La cage » écrit par Phillipe Maury est sélectionné au Festival de Cannes. C’est une prouesse incommensurable à l’époque pour un film réalisé et produit en Afrique noire, Maury et les équipes de réalisation et de production sont fiers du chemin et du travail accompli.
Ce qui n’est pas une si grande surprise à la vue des talentueux comédiens (Servais, Duval…) très connus qui l’ont accompagné durant la mise en boîte de ce film. Puis, Maury écrit le scénario d’un autre projet cinématographique intitulé « la grande tornade » dont la réalisation devait être assurée par Jacques Dupont. Mais Phillipe Maury est un nationaliste engagé dans l’âme, soucieux du bien-être de ses concitoyens, il déplore et condamne souvent les actes du président Léon Mba qui était considéré comme un despote par beaucoup d’étudiants et d’hommes politiques gabonais.
Un acteur de l’opposition
A l’époque, le Gabon n’avait pas de convention de production cinématographique avec la France. Le président Léon Mba ne portait aucun intérêt pour le développement du cinéma en terre gabonaise. Ce qui constituait un frein pour Phillipe Maury dans sa capacité à se réaliser pleinement en temps que cinéaste dans son pays. De plus, les conditions socio-économiques des gabonais ne le laissaient pas insensible.
Ses échanges au cours de ces nombreuses rencontres avec des artistes d’Afrique noire tels que Sembène Ousmane, Timité Bassori ou encore Jean-Paul Ngassa, nationalistes convaincus, ont été fructueux et lui ont apporté un éclaircissement important sur la situation politique des pays africains qui était exécrable car leurs dirigeants respectifs étaient toujours inféodés à la France ! C’est en effet un autre cheval de bataille qui lui tient à cœur : la mise à mort de la néo-colonisation. Un nouveau système de prédation des autorités françaises pour avoir toujours la mainmise sur les richesses du Gabon en particulier et de l’Afrique en général.
Phillipe Maury est pour ainsi dire une sorte de « souverainiste panafricain » au même titre que l’était ses concitoyens Germain Mba (opposant historique gabonais assassiné officiellement dans la nuit du 17 septembre en 1971 par le régime Bongo) ou encore Ndendé Dibantsa [membre fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) créée en 1913 qui fut lui empoisonné aux environs de 1939].
Le coup d’Etat de février 1964 visant à renverser le président Léon Mba est bien accueilli par Phillipe Maury qui a été, le seul civil gabonais (ni engagé en politique ni dans un corps de sécurité et de défense) à prendre position sur ce putsch condamné par « Marianne », sans grande surprise bien-sûr. De toute manière, Léon Mba était trop pernicieux pour la démocratie au Gabon et était l’un des vils serviteurs de la République française. Une fois le coup d’Etat réussit, Phillipe Maury est nommé dans le gouvernement de transition dirigé par Jean-Hilaire Aubame. On lui confie le ministère de la culture.
Mais la suite on la connaît. De Gaulle ne peut laisser son valet françafricain à la peine, il décide alors de le rétablir dans ses fonctions en faisant intervenir le 6ème Bataillon d’Infanterie Marine (6ème Bima) ex force d’intervention de la Communauté. Maury est arrêté par la suite et enfermé à la prison de l’Ile de Coniquet, jugé par la suite et condamné à 6 ans de travaux forcés. C’est cette période de sa vie qu’il appelait « son absence prolongée » dans le cinéma. Le président Léon Mba décèdera trois ans plus tard et c’est son directeur de cabinet, Albert Bernard Bongo, qui prendra les rênes du pouvoir en 1967.
Cette même année, il gracie Maury qui sort de prison après trois ans passés à y croupir. En 1990 lors de la conférence nationale, il est appelé pour prendre part aux assises fixant les nouvelles modalités politiques du pays avec l’avènement du multipartisme et crée un « insignifiant » parti politique. Mais pour Maury, la politique n’est plus une nécessité, lui qui avait déjà beaucoup donné de lui-même en 1964. Il sait que la population de son pays est spectatrice et apathique, il ne se voit plus mener un combat non soutenu par la plèbe, si ce n’est dans les discours vagues et répétitifs.
Participation dans le cinéma africain
« Phiphi » se replonge dans le cinéma en 1971, après quatre années sabbatiques. Il se lance alors dans la réalisation de son unique long métrage qu’il avait écrit des années avant « Les tam-tams se sont tus ». Le tournage débute aussi la même année mais les moyens sont moindres, il faut plus d’argent pour qu’il mène ce projet jusqu’au bout. En 1972, il finit par trouver les fonds dont il avait besoin et qui s’élevaient à 26 millions de francs CFA, lui qui n’avait que 930000 de nos francs au début des prises. La durée du film est de 76 minutes.
Une fois finit, le film est diffusé un peu partout en Afrique et reçoit les éloges de plusieurs capitales africaines et même du très renommé festival de cinéma africain « Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou » (FESPACO). Maury a plusieurs films écrits, mais les finances manquent à l’appel. Il décide alors, avec d’autre cinéastes africains, de créer en 1975 une fédération panafricaine, ce sera la Fédération Panafricaine de Cinéma (FEPACI). Ladite fédération avait pour objectif de moderniser l’image du cinéma africain afin d’encourager aux forceps son essor.
En 1975 toujours, il met sur pied le Centre National du Cinéma Gabonais (CENACI) dont il fut le directeur général sous l’impulsion du président Bongo qui, aux antipodes du feu président Léon Mba, décide dès 1983, de financer le cinéma gabonais, au grand bonheur des cinéphiles. Il enchaîne les prestations de réalisateur et d’acteur dans plusieurs films et feuilletons que sont « Obali » (1ère version) de Phillipe Maury en 1973, « Un enfant du village » de Phillipe Maury en 1978, « Le grand blanc de Lambaréné » de Bassek Ba Kobhio, en 1994, « L’auberge du salut » en 1995, « Orèga » de Marcel Sandja en 1997.
Ses dernières œuvres cinématographiques en tant qu’acteur, il les confie à ses « élèves et fils » dans le cinéma. D’abord Luc Imunga Ivanga qui le fait jouer dans ses films tels que « Les tirailleurs d’ailleurs » en 1995, « Go zamb’olowi » (au bout du fleuve) en 1999, « Dolè » en 2000 et « L’ombre de Liberty » en 2006. Puis, son autre protégé, Henry-Joseph Koumba Bididi, le fait jouer dans ses films « Les couilles de l’éléphant » sorti en l’an 2000 et « Le collier de Makoko » sorti en 2011. Par ailleurs, il a aussi joué dans « Le silence de la forêt » de Didier Ouénangaré et Bassek Ba Kobhio en 2003, « Inspecteur Sory : Le mamba » de Mamady Sidibé en 2005. Il a coréalisé en 2010 le film « Tout blanc tout noir » avec Phillipe Alexandre.
Sa dernière apparition en tant que cinéaste remonte à 2013, quand la réalisatrice franco-gabonaise, Nadine Otsobogo Boucher, lui donne un rôle dans son court métrage « Dialemi » sorti en 2013. Celui-ci finira par remporter un poulain d’or de Yennenga au FESPACO en 2013 et le prix du meilleur court métrage au Festival International du Film Panafricain de Cannes (FIFP) durant la même année.
Clap de fin
Ayant pris sa retraite en 1983, il partage ses moments de détente et de plaisir entre Libreville et Batanga. Mais comme il fallait s’y attendre, Phillipe Maury écrira lui-même les pages du récit de sa disparition tel un scénariste d’actions funèbres. Fatigué et retiré de la vie active, Phillipe Maury vit retranché dans son domicile de Nzeng-Ayong, quartier situé dans le 6ème arrondissement de Libreville. Il a la vue qui vacille depuis déjà un moment, en effet on lui a diagnostiqué une cataracte à l’hôpital de l’Alliance Chrétienne de Bongolo.
Mais un mardi 7 juin 2016, les voisins de l’homme de 84 ans écoutent un bruit inquiétant d’arme à feu. Arrivé sur place, le constat est tragique et poignant : le père du cinéma gabonais vient de mettre fin à ses jours en se tirant une balle dans la bouche à l’aide d’un fusil à pompe. Rien ne laissait présager pareille agissement de sa part de par les témoignages de ses proches qui le savaient en forme et confiant en l’avenir, bien qu’il ait toujours fait part de son intention de ne pas finir « dépendant » par rapport au poids de l’âge. Il laisse derrière lui 18 enfants désormais orphelins de père.
Quoi qu’il en soit, l’annonce du décès de l’un des pionniers du cinéma africain a provoqué un émoi très marqué dans la sphère culturelle et cinématographique mondiale. Phillipe Maury a été inhumé dans le cimetière Galoa de Lambaréné, la capitale de sa province natale, le 18 juin 2016 en présence d’une délégation du ministère de la communication et de certains responsables de l’IGIS.
C’est au domicile de son fils aîné, Maury Ngowemandji, par ailleurs maire du 2ème arrondissement de Lambaréné, que s’est déroulée la veillée mortuaire. Plusieurs cadres de la province avaient fait le déplacement pour s’incliner une dernière fois devant la dépouille de l’illustre disparu. Mais pour beaucoup de gabonais, Phillipe Maury n’a pas eu les honneurs et les remerciements républicains de la part des autorités, à la hauteur du travail accompli et du dévouement qu’il avait pour le cinéma gabonais.
Hommage et distinction
Phillipe Maury a reçu le 12 novembre 2011 des mains du maire d’Amiens (France) de l’époque, La licorne d’Or, en signe de distinction honorifique pour l’ensemble de sa carrière au cinéma à l’occasion de la 31ème cérémonie officielle du Festival International du Film d’Amiens.
Un documentaire retraçant la vie de Phillipe Maury a été produit et présenté par le journaliste, réalisateur et producteur gabonais, Joseph Magic Youngou lors de la 11ème édition des escales documentaires de Libreville le 28 novembre 2016 avec pour titre « Phillipe Maury, ombre et lumière d’une légende ».
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