Reconverti dans les affaires, notre confère de jeune afrique à travers un portrait de Jean Ping s’interroge sur l’avenir politique du Gabonais.
De la politique, Jean Ping ne veut plus entendre parler. Les coups tordus, les trahisons, le stress des joutes politiciennes. « Je ne me vois plus vivre comme ça », résume l´ancien président de la Commission de l´Union africaine (UA). Après son départ du siège de l´UA à Addis-Abeba en août 2012, on le voyait rebondir au Sénat ou à la vice-présidence du Gabon. Début 2013, alors qu´à Libreville le pouvoir se demandait encore ce qu´il allait faire de Ping, âgé de 70 ans et désormais libre de tout mandat, l´ancien diplomate a pris tout le monde de court en officialisant sa reconversion dans les affaires. En février dernier, il lance son cabinet Ping&Ping Consulting avec ses deux fils et deux autres associés membres de la famille. Le virage est peu courant dans le pays ? Tant pis, le globe-trotteur ne perd pas de temps et accélère.
Ces six derniers mois, on l´a davantage vu dans les aéroports et les hôtels du Moyen-Orient, de Chine et des capitales africaines qu´à son domicile de Libreville. Dès qu´il s´agit de négocier, de mettre en relation les investisseurs et les gouvernants, de conseiller les entrepreneurs ou de ficeler des projets, le nouveau businessman sent son adrénaline monter. Dans certains dossiers, sa notoriété lui ouvre des portes. Ainsi en est-il de ce chef d´État d´Afrique de l´Ouest anglophone qui a sollicité le cabinet pour le conseiller dans son projet de construction d´un barrage. Mais c´est en Côte d´Ivoire que Ping&Ping a eu le meilleur accueil, avec un autre projet de barrage, à Soubré - dont le maître d´ouvrage est Sinohydro, le géant chinois du BTP. Dans le même temps, il constitue un réseau de représentants déjà présents au Cameroun, au Nigeria et au Sénégal...
Les investisseurs sur le marché asiatique
Pour lancer les activités de sa société, l´entrepreneur ne s´est pas économisé. L´ancien président de l´Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a effectué cette année bon nombre de voyages dans les pétromonarchies du Golfe : Qatar, Bahreïn, Koweït, Dubaï... Son engagement dans ce domaine se fonde sur ce constat : l´Europe étant en difficulté, le centre de gravité de l´économie mondiale s´est déplacé en Asie. C´est donc sur les marchés émergents asiatiques qu´il va chercher les capitaux. Ses clients sont principalement des investisseurs chinois ou moyen-orientaux. « Il faut les démarcher là où ils se trouvent, obtenir leur confiance, leur tenir la main dans nos dédales administratifs pour les aider à investir chez nous », explique-t-il. Encore faut-il savoir négocier avec Chinois, Indiens ou Qataris, réputés difficiles en affaires...
Lâché par tous ses soutiens
Mais que s´est-il passé pour qu´un homme qui baignait dans la politique depuis près de quarante ans décide de tourner la page ? Il n´a aucune amertume, assurent ses proches. Il semble avoir fait le deuil de la présidence de la commission de l´UA et ne paraît même pas épuisé par les longues semaines de dispute électorale qui l´ont opposé à Nkosazana Dlamini-Zuma, sa rivale sud-africaine, finalement victorieuse en juillet 2012.
On comprendrait que Ping soit dépité après avoir été lâché par ses soutiens, même en Afrique centrale, sa région d´origine. L´appui tardif des autorités de son pays reste encore aujourd´hui un mystère, commenté dans les couloirs de l´organisation à Addis-Abeba. « Il s´est lancé dans la course au renouvellement de son mandat sans prévenir la présidence », tance un conseiller d´Ali Bongo Ondimba. « Faux ! s´insurge l´entourage de Ping. Il s´est porté candidat après en avoir discuté à deux reprises avec le président. » La vérité importe peu, le fait est qu´il a perdu. Le natif d´Omboué (Ogooué-Maritime) a dû déménager d´Addis-Abeba, où il bénéficiait du protocole et d´un traitement digne de celui d´un chef d´État. Désormais, seul Claude Alain Djally, son fidèle aide de camp, l´accompagne. Après ce coup dur, il lui a fallu retrouver une vie normale. Ses proches craignaient de le voir déprimer. Son absence au 20e sommet de l´Union africaine en janvier dernier, alors qu´il y était invité, a fait courir la rumeur que Jean Ping boudait. Touché mais pas coulé, semble-t-il vouloir dire quand il débarque au sommet du cinquantenaire en mai, coupant court aux spéculations.
Sa décision de tout plaquer était déjà prise. Avoir été soupçonné de préparer une candidature lors de la présidentielle de 2009 a peut-être cassé un lien avec Ali Bongo Ondimba (ABO). Le Palais le considère comme un rallié de dernière minute. On l´accuserait d´avoir été de ceux qui, à la mort de Bongo père, ont pris l´avion pour aller demander le soutien de la France en vue de lui succéder. Selon des proches d´Ali, il se serait présenté à Paris comme étant un possible recours susceptible d´éviter un face-à-face périlleux entre le nord et le sud du pays. Il serait donc un rival potentiel dont se méfierait l´actuel locataire du Palais du bord de mer. « Ping n´a jamais mis les pieds à l´Élysée pour être président. Il n´a même jamais eu l´intention d´être candidat, dément son entourage. Ces médisances sont sans fondement. » Le problème de Ping avec le Palais du bord de mer est que plus il jure qu´il ne veut pas être président, moins on le croit. À l´évidence, l´ancien patron de l´UA n´est pas dans les petits papiers d´ABO. Ni même de certains de ses proches. Que le nouvel homme d´affaires ait décidé d´exclure le Gabon de son champ d´activité n´y change rien. Son pays est peu coutumier des fortunes qui se bâtissent hors du contrôle du pouvoir... Son cas est d´ailleurs traité au vitriol dans certains journaux locaux qui suspectent par avance d´éventuels conflits d´intérêts. Comme si la volonté d´émancipation de cet enfant gâté de l´ancien régime était une forme d´ingratitude et de défiance envers le pouvoir. Michel Essonghé, insubmersible conseiller politique d´ABO qui fut aussi la plume de Bongo père, ne manque aucune occasion de l´égratigner en privé ou dans les médias qu´il contrôle.
Renoncer à la politique pour les affaires
Son renoncement peut également avoir pour raison la « lassitude qui gagne parfois ceux qui, comme lui, ont travaillé toute leur vie sous l´ombre tutélaire d´un chef d´État », hasarde un ancien Premier ministre. En effet, Ping a occupé pendant six ans le poste de directeur de cabinet d´Omar Bongo Ondimba avant de prendre les commandes de plusieurs ministères, comme celui des Affaires étrangères qu´il dirigea durant neuf ans...
S´il n´est guère prophète en son pays, en tout cas en tout lieu, il apprécie d´être redevenu populaire auprès du personnel de l´UA. Même auprès de certains chefs d´État, le séducteur Ping a encore la cote. Ses amis et même ceux qui n´ont pas voté pour lui demandent à le voir. À la fin du sommet du cinquantenaire, le Soudanais Omar el-Béchir a exigé un détour par Khartoum pour lui décerner une médaille. Même les hommes d´affaires lui tendent la main : mi-juin, il était à Lagos chez Aliko Dangote, le magnat nigérian du ciment. Son désir d´indépendance ne l´a pas transformé en loup solitaire, d´autant que ce Gabonais marié à une Ivoirienne originaire de Grand-Bassam (sud-est du pays) a parallèlement été admis au conseil de gestion du West Africa Emerging Market Growth Fund, le fonds régional de capital-investissement lancé par la société de gestion Phoenix Capital Management (PCM), basée à Abidjan et dirigée par l´Ivoirien Michel Abrogoua. Avec son doctorat en sciences économiques, sa longue expérience de diplomate et son éternelle bonne humeur, Ping semble taillé pour son nouveau job. Il dit vouloir servir son continent autrement. Mais peut-il empêcher la politique de le rattraper ?
Jamais assez Gabonais...
Dans la géopolitique électorale du pays, Ping cumule de sérieux handicaps. Le premier tient à ses origines : fils d´un immigré chinois venu de Wenzhou, une ville portuaire située à 400 km de Shanghai, il est issu par sa mère de la minorité nkomi, un sous-groupe myéné établi près de la lagune Fernan Vaz, au sud de Port-Gentil. Au regard des réflexes identitaires qui se sont manifestés lors de la présidentielle de 2009, « Mao » - son surnom - avait plus de chances d´être élu à la tête de la Commission de l´Union africaine qu´au Palais du bord de mer. À moins de se présenter en homme du consensus susceptible de recueillir les suffrages d´autres communautés du pays. Décédé en 2005, son demi-frère, Pierre-Louis Agondjo Okawé, opposant charismatique, fondateur du Parti gabonais du progrès (PGP) et maire de Port-Gentil, s´est heurté au même obstacle. En 1993, Agondjo se présente à l´élection présidentielle de décembre mais n´obtient que 4,7 % des voix. S´ensuit une crise politique qui aboutira aux accords de Paris signés en octobre 1994. Tout en demeurant proche de son demi-frère malgré leurs divergences politiques, Ping est toujours resté loyal à Omar Bongo Ondimba lorsqu´il était son ministre. Ses liens directs avec la famille du président n´y sont peut-être pas pour rien : il est le père des deux enfants de Pascaline, la fille aînée d´Omar. Après le décès de ce dernier, il a fait campagne à la présidentielle de 2009 en faveur d´Ali dans son Ogooué-Maritime natal, une terre majoritairement acquise à l´Union du peuple gabonais (UPG) de l´opposant Pierre Mamboundou, aujourd´hui décédé. Sans se laisser influencer par ses anciens collègues du gouvernement, dont André Mba Obame, qui a tenté de le rallier à son projet de conquête du pouvoir.
@info241.com