Etienne Moussirou, de ministre à président du Conseil national de la communication du Gabon
Alors que la Deuxième Grande Guerre éclate à la fin des années 1930, les troupes militaires africaines étaient dans leur quasi-totalité constituées d’hommes noirs. Mais en Afrique équatoriale française (AEF) ainsi qu’en Afrique occidentale française (AOF), une discrimination raciale entre concitoyens était perceptible par la mise en place de lois et règles accordant plus d’avantages et de privilèges aux populations « métissées », fruit de la semence des colons avec des femmes des localités africaines.
Pour les administrateurs coloniaux de l’époque, il était judicieux de traiter les enfants issus des entrailles des leurs différemment. Mais avec l’engagement des volontaires et soldats noirs africains au sein des troupes coloniales africaines pour venir en aide à la résistance française face à l’invasion nazie, la donne changera inéluctablement le destin des pays d’Afrique, réduits à l’état de colonies françaises d’Afrique. C’est ainsi que bien après la Seconde Guerre Mondiale, un référendum constitutionnel est voté en France pour donner naissance à la « Quatrième République ». « L’union française », nom du nouvel empire français, est ainsi créée.
En effet, les autorités françaises de l’époque voulaient réorganiser l’empire français et faire migrer le statut administratif et politique de ses colonies présentes en Afrique. Ce changement constitutionnel au sein de la Métropole va favoriser le développement éducatif et structurel notamment dans les régions occidentale et équatoriale de l’Afrique. Au Gabon par exemple, la possibilité sera donnée aux plus jeunes de débuter ou de poursuivre leurs études en France car l’indigénat étant abolit et la citoyenneté française étant octroyée à tous.
Plusieurs ressortissants « franco-gabonais » bénéficieront dès lors d’une bien meilleure instruction occidentale et de surcroît en Hexagone. Bon nombre d’entre eux rentreront au pays nantis de diplômes auréolant leurs hautes études mais grande fut la déception, de constater que la majorité de cette élite gabonaise participa activement à entretenir le régime funeste et dictatorial de sieur Bernard Bongo. Nous nous penchons aujourd’hui sur Etienne Moussirou (1941-2018), un des nombreux bras armés du président Bongo durant le règne sans partage du très tentaculaire « Parti Unique ».
Naissance
C’est au village « Bilanga » situé non loin de la petite ville côtière du Sud du Gabon du nom de Mayumba, une agglomération nynoise, que fut né Etienne Moussirou le 25 mars 1941. Localisé dans le département de la « Basse-Banio », Bilanga comme les anciens quartiers « Kouango », « Panga » ou encore « Kongo-Mayombé » au moment de la Seconde Guerre Mondiale joua un rôle important pour parer l’idéologie nazie qui avait déjà gagné une partie du Cameroun voisin situé à pratiquement 7 heures de là. C’est durant cette menace d’invasion allemande que la naissance de notre personnage survint.
Parcours scolaire
Très jeune, Etienne Moussirou débute son instruction à Mayumba notamment à la mission catholique « Saint-Esprit de Mayumba ». Puis, il est emmené dans la ville de Pointe-Noire par un spiritain catholique. Après y avoir passé quelques années, Etienne Moussirou regagne le Gabon à l’âge de 14 ans. Il atterrit à Libreville et y poursuit ses études secondaires. Mais le retour du jeune Etienne ne sera que de courte durée car il s’envolera pour la France afin d’y continuer son cursus. Direction le Sud-Ouest de l’hexagone précisément dans la commune de Brive-la-Gaillarde communément appelée Brive.
C’est en 1962 que Etienne Moussirou décroche son baccalauréat. Il opte pour des études d’économie mais ne compte pas les faire en France. Il se rend en République Tchèque (ex Tchécoslovaquie). Il ne s’y éternise pas et décide revenir en hexagone. A la fin de son parcours universitaire, Etienne Moussirou obtient un diplôme d’ingénieur en économie option commerce extérieur.
Parcours professionnel administratif
Etienne Moussirou regagne le Gabon en 1961. Il travaille alors au sein de la Compagnie française du Gabon (CFG) basée dans la ville de Port-Gentil, capitale économique du pays. Puis en 1967, avant que le président Léon Mba ne décède officiellement en France le 28 novembre de la même année, il est urgemment appelé à Libreville pour servir son pays à l’international. Etienne Moussirou est envoyé en mission diplomatique au sein de la Communauté économique européenne (CEE) sise en Belgique dans la ville de Bruxelles ; il est alors le deuxième conseiller à l’ambassade du Gabon près de la CEE.
C’est durant ce périple diplomatique que Etienne Moussirou rejoint le très sulfureux Parti démocratique gabonais (PDG) créé par le nouvel homme fort du Gabon, Albert Bernard Bongo. En effet, ce dernier a succédé au président Léon Mba après que celui-ci ne disparaisse. Quatre ans après son aventure diplomatique, Etienne Moussirou est promu en 1971 secrétaire général de la présidence gabonaise chargé des relations commerciales avant de devenir en 1973, le directeur de cabinet (Dircab) du président Bongo.
En 1974, Omar Bongo fera même le déplacement dans la Nyanga pour le présenter lui-même, aux populations nynoises, comme étant son Dircab et un de ses proches collaborateurs, symbole de la grandeur de la localité. Mais bien avant cela, il fut d’abord pressenti pour prendre les rênes de la compagnie « Air Afrique » mais son âge posait un véritable problème au comité directeur de la compagnie aérienne qui trouvait qu’à trente ans, sieur Moussirou ne remplissait pas encore tous les critères pour occuper cette fonction.
Economiste de formation détenteur d’un diplôme d’ingénieur dans ladite discipline, Etienne Moussirou rentre au gouvernement de Léon Mebiame en novembre 1975 sur recommandation du chef de l’Etat et sera catapulté au directoire du ministère du commerce et de l’industrie. Malgré le remaniement gouvernemental de février 1978, Etienne Moussirou sera confirmé à son poste après que son ministère soit nouvellement dénommé « Ministère du commerce et du développement industriel ». Ensuite, il sera propulsé, le 27 mars 1984, à la tête du ministère de l’industrie et des sociétés d’Etat en qualité de ministre d’Etat.
Par ailleurs, il se verra confié le tout nouveau ministère des Petites et moyennes entreprises (PME) et mit en place des mécanismes incitatifs à l’entreprenariat ; des organes comme le Fonds gabonais d’aide et de garantie aux PME (FAGA) ou encore l’Agence gabonaise de promotion des PME (PromoGabon) furent ainsi créés par sa volonté. Le 18 octobre 1988, il est nommé ministre d’Etat, ministre des transports et de l’aviation civile, poste qu’il occupera jusqu’en 1990 relatif à l’avènement du pluralisme politique.
Disgrâce et disparition
Avec l’avènement du multipartisme en 1990, Etienne Moussirou quitte le gouvernement. La conférence nationale a en effet acté l’assainissement de la vie politique et la cohabitation administrative qu’on soit de l’opposition ou du parti au pouvoir. Il faut désormais composer avec toutes les forces vives de la nation et constituer un gouvernement d’unité nationale et hétéroclite. Ce n’est qu’en 1992 que Etienne Moussirou est rappelé, du moins élu démocratiquement, à une fonction administrative relevant du domaine public. Le Conseil national de la communication (CNC, actuelle Haute autorité de la communication), nouvelle entité publique en matière de contrôle et de régulation, se cherche un patron.
Et c’est Etienne Moussirou qui sera choisi au cours d’un vote pour occuper la direction inaugurale du CNC. En 1993, lors de la première élection présidentielle « démocratique » voire « multipartite », Etienne Moussirou subit des accusations de la part de l’opposition qui met en doute sa neutralité dans l’usage des médias politiques, favorisant à outrance la diffusion des programmes du candidat-président Bongo et du parti auquel il appartient lui-même, le Parti démocratique gabonais (PDG).
En effet, il paraissait fort impossible au vu du passé administratif et du cheminement politique de sieur Moussirou d’œuvrer à l’expression libre des mass média que sont la radio, la presse ou encore la télévision. N’avait-il pas connu pareille ascension sociale grâce au président Bongo et aux avantages qu’offrait le Parti unique à ses plus valeureux soldats ? lui qui d’ailleurs était un puissant membre du bureau politique du PDG et ce depuis plusieurs années.
Il était comme condamné psychologiquement à être redevable à la main qui l’avait nourri en l’occurrence Omar Bongo. Cependant en 1995, Etienne Moussirou est éjecté du CNC et des divergences avec le président Bongo l’oblige au retrait politique. Il s’était retiré chez lui où de temps à autre, il recevait proches et collègues pour partager le temps de quelques heures, des moments de bonheur et de gaieté. Affaibli par l’âge et par la maladie, Etienne Moussirou fut admis à la polyclinique du Dr Chambrier, établissement sanitaire privé de Libreville, une journée de mai 2018. Le mal dont il souffrait ayant eu raison de lui, Etienne Moussirou tira ainsi sa révérence le 11 mai 2018 à l’âge de 77 ans.
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